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Les frais trop secrets des eurodéputés


Un collectif de journalistes a décidé de porter plainte devant la Cour de justice de l'Union européenne afin d'avoir accès au détail des frais généraux des députés, tenu secret par le Parlement européen. (photo AFP)

Le 13 novembre dernier, 29 journalistes issus du Vieux Continent ont porté plainte devant la Cour de justice de l’UE contre les députés européens. Ils veulent savoir à quoi servent leurs frais généraux.

L’opacité des sources de revenus des députés européens aurait-elle trop duré? C’est en tout cas ce que considèrent des journalistes européens qui aimeraient avoir accès au détail des dépenses de leurs représentants nationaux. En cause, l’usage qu’ils font de certaines allocations et, notamment, celle de frais généraux.

Aujourd’hui, un eurodéputé, quelle que soit sa nationalité, touche un salaire mensuel de 8 020,53 euros. Après déduction de l’impôt européen et de la cotisation d’assurance accident, celui-ci s’établit à 6 250,37 euros. Un salaire que l’eurodéputé doit déclarer dans son pays de résidence, où il sera également imposé. Il bénéficie également d’une indemnité journalière de 306 euros lorsqu’il participe à des séances plénières à Strasbourg ou Bruxelles.

Les eurodéputés reçoivent également une indemnité mensuelle qui peut atteindre 21 379 euros pour payer leurs assistants. Le Parlement a établi des règles pour que cette somme ne soit pas dispersée entre de trop nombreux assistants, comme le faisaient les premiers eurodéputés. Les frais de transport des eurodéputés sont également remboursés pour aller de leur lieu de résidence à Bruxelles ou Strasbourg et ils disposent d’une enveloppe de 4 264 euros annuels pour les déplacements hors de ce cadre défini.

À ces sommes s’ajoute une indemnité de frais généraux d’un montant fixe de 4 320 euros. Une indemnité pour laquelle le député n’a rien à justifier. Et c’est ce qui intéresse le collectif de 29 journalistes qui ont déposé une plainte devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Quarante millions d’euros bien mystérieux

« Nous avons demandé à deux reprises le détail des frais généraux des députés européens. Une première fois en juillet, puis une autre en août , note la Belge Delphine Reuter, qui fait partie de ce collectif. À chaque fois, nous avons obtenu la même réponse du Parlement européen : il ne saurait révéler des informations qui relèvent de la vie privée, il ne dispose de toute façon pas de ces informations et elles coûteraient trop cher à être collectées. » Des arguments qui ont le don d’agacer les adeptes de la transparence.

Depuis des années, l’opacité qui règne autour des salaires et avantages des eurodéputés a fait couler beaucoup d’encre. Mais leur impunité n’a pas été menacée. Aujourd’hui, la plainte du collectif des journalistes a pour objectif de lever une partie du voile sur les 40 millions d’euros qui constituent l’enveloppe consacrée aux frais généraux. Les journalistes n’ont pas hésité à en demander beaucoup au Parlement, notamment des extraits de comptes sur lesquels les indemnités pour frais généraux sont versées, ou encore les copies de justificatifs des dépenses.

Pour l’ancienne commissaire européenne à l’information, l’avocate slovène Nataša Pirc Musar, ce refus du Parlement de partager ces informations est une illustration « de l’immunité totale dont bénéficient les eurodéputés. Ils peuvent dépenser l’argent public à discrétion sans avoir à rendre des comptes ». Elle a décidé de représenter les journalistes dans leur plainte contre le Parlement.

Des journalistes qui ne veulent d’ailleurs pas autre chose que le détail des dépenses extrasalariales. « Le salaire est privé. C’est pourquoi nous demandons juste l’accès à l’utilisation des sommes qui leur sont versées dans le cadre de leur mandat comme représentants des citoyens européens », peut-on lire dans un communiqué.

Le silence du Parlement européen

Au-delà du cas des frais généraux des eurodéputés, cette plainte devant la Cour de justice de l’Union européenne est un évènement dans le microcosme tranquille de l’institution. C’est en effet « la première fois que des journalistes collaborent pour faire respecter la liberté d’information, surtout dans un domaine que nous considérons comme relevant de données publiques », note Anuška Delic, la journaliste slovène à l’origine du projet. Elle a joué de ses réseaux, et demandé conseil au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), pour entrer en contact avec d’autres médias intéressés par les dépenses des eurodéputés. Dans chaque pays, elle a trouvé un relais.

Le Parlement européen a choisi de ne pas communiquer, pour le moment, sur cette plainte car il attend qu’elle soit déclarée recevable par la Cour de justice de l’UE. L’affaire n’en est qu’à ses prémices.

Christophe Chohin

Charles Goerens : « Je rembourserai le trop-perçu »

Lors de la présentation du budget 2016 de l’Union européenne, une résolution a été ajoutée au texte. Celle-ci «invite le Bureau du Parlement à définir des règles plus précises en matière de responsabilité pour les dépenses autorisées au titre de cette indemnité, sans que cela engendre des coûts supplémentaires pour le Parlement».

Le groupe des Verts au Parlement a ajouté cet amendement : «Pourraient être mis en place, dans un premier temps, l’obligation de publier le relevé des dépenses puis, dans un deuxième temps, un système d’inspections limitées et par rotation (…) il serait possible de mettre au point ce système alliant contrôle par les citoyens et surveillance allégée par le Parlement européen de manière efficace et neutre sur le plan budgétaire, tout en assurant la transparence nécessaire».

Un amendement qui est passé au vote en séance plénière. Et le procès-verbal montre que Claude Turmes, député vert, et Mady Delvaux, députée socialiste, ont voté en faveur de cet amendement. Au contraire, les députés du Parti populaire européen Georges Bach, Frank Engel et Viviane Reding ont voté contre.

Pas de critères définis par le Parlement

Le sixième eurodéputé luxembourgeois, Charles Goerens, de l’Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe, n’était pas présent le jour du vote. « J’ai une position très claire. Je suis allé voir nos services pour savoir quels étaient les critères de dépense des frais généraux. » Une démarche veine car il n’y en a pas. L’eurodéputé a donc pris le taureau par les cornes. « J’ai demandé à la fiduciaire qui gère mes comptes de faire un inventaire de toutes mes dépenses pour voir si elles sont conformes. En tant que député national, je disposais déjà d’une enveloppe de représentation sans avoir à en rendre compte. »

Une liberté qui a le don de gêner le député. « Je serais demandeur que l’administration du Parlement définisse des critères. Dans tous les cas, cela aura des conséquences en fin de mandat. Je rembourserai le trop-perçu. » Une démarche à des années-lumière de certains députés eurosceptiques d’autres pays, absents des débats parlementaires mais prompts à empocher les indemnités de frais généraux.

Charles Goerens regrette le manque de précision des textes.

Charles Goerens regrette le manque de précision des textes.

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