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L’état de crise prolongé à 3 mois : «Pas un chèque en blanc»


Le Parlement a apporté son plein soutien au gouvernement en cette période de crise sanitaire (Photo : chambre des députés)

La Chambre des députés a adopté samedi à l’unanimité la prolongation de l’état de crise, décrété mercredi. Cet instrument donne des «pouvoirs spéciaux» pour apporter des réactions rapides à la propagation du coronavirus. Il ne s’agit cependant pas d’un «chèque en blanc» pour les ministres. La Chambre veille au grain.

À part un léger accrochage entre le CSV d’un côté et le LSAP et déi gréng de l’autre, la séance plénière extraordinaire qui s’est tenu ce samedi après-midi à la Chambre des députés est venu confirmer l’union nationale qu’affiche le camp politique en cette période de crise sanitaire «sans précédent».

L’ensemble des partis représentés au Parlement ont validé le projet de loi validant l’état de crise pour une durée maximale de 3 mois. Aussi bien les élus de la majorité (DP, LSAP et déi gréng) que ceux de l’opposition (CSV, ADR, déi Lénk et Parti pirate) ont accordé leur feu vert. Une majorité qualifiée des deux tiers était requise et elle a été largement atteinte avec 56 oui, sans vote négatif ou abstention.

Les quatre députés manquants étaient dispensés en raison de leur statut de personnes vulnérable. Cela n’a pas empêché que le vote se déroule dans des conditions tout à fait exceptionnels : les élus ont voté à haute voix, le tout au bout d’une procession insolite. Au vu des mesures de précaution sanitaires, les députés étaient répartis en quatre salles différentes (salle plénière, avec notamment les chefs de fraction, et trois autres salles de la Chambre).

«Il s’agit du texte le plus incisif voté depuis des décennies»

Pour rappel : le texte de loi reprend notamment l’ensemble des mesures de confinement décidées dimanche dernier par le gouvernement. S’y ajoutent les fermetures imposées de commerces non essentiels, des chantiers ainsi que de l’ensemble des cafés, restaurants, musées, cinémas, halls sportifs, stades et autres lieux de rassemblement. Il définit aussi les exceptions pour pouvoir quitter son domicile.

«Il s’agit du texte le plus incisif voté depuis des décennies», a d’emblée souligné le rapporteur Mars Di Bartolomeo (LSAP), également président de la Commission des Institutions. L’invocation de l’article 32.4 de la Constitution, qui définit les modalités de l’état de crise, offre au gouvernement des «pouvoirs spéciaux». Les ministres pourront adopter des règlements dans l’urgence, sans devoir passer par la procédure institutionnelle classique.

En cas de besoin, le gouvernement dispose désormais des instruments nécessaires pour apporter d’autres mesures d’urgence pour lutter contre la propagation du Covid-19 au Luxembourg. Une obligation de proportionnalité est toutefois inscrit dans l’article 32.4 de la Constitution. Il en va de même pour une série d’autres «garde-fous» (lire ci-dessous).

«Cela ne veut pas dire que la Chambre s’efface», souligne Mars Di Bartolomeo, suivi dans son constat par l’ensemble des autres fractions parlementaires. «Il ne s’agit pas d’une délégation du pouvoir législatif au pouvoir exécutif. La Chambre peut intervenir à tout moment», poursuit le rapporteur, avouant que ses «genoux tremblent». Le contrôle parlementaire reste en vigueur. Les députés peuvent ainsi à tout moment abroger ou suspendre l’état de crise.

Un «goût amer» pour le CSV

Martine Hansen (CSV) a souligné le besoin d’«agir résolument. Réagir n’est plus suffisant. Il faut aussi gouverner résolument». Le principal parti d’opposition a fini par valider, après «longue réflexion», la prolongation de l’état de crise à trois mois. Par contre, la cheffe de file du CSV à la Chambre a fait part de son sentiment que le gouvernement «ne nous dit pas toute la vérité». Sa fraction aurait un «goût amer» en raison d’un manque de précision, de cohérence et de coordination existants dans le règlement pris par le gouvernement, définissant le cadre de l’état de crise, décrété mercredi soir.

Aussi bien Georges Engel (LSAP) que Josée Lorsché (déi gréng) ont fait part de leur «difficultés» à saisir l’opportunité des remarques formulées par le CSV. La fait d’«induire que le gouvernement aurait dû agir comme un magicien ou un voyant» a déplu au chef de fraction socialiste. Son homologue des Verts a remis en question le besoin de «critiquer le gouvernement». Martine Hansen n’a pas tardée à riposter : «On n’a pas formulé des reproches, mais posé une série de questions. C’est notre bon droit d’obtenir des réponses. Cela est de la démocratie et pas une critique».

Le Premier ministre, Xavier Bettel, est venu trancher ce léger accrochage. «Le texte adopté en urgence n’est pas parfait. On va certainement encore adapter et préciser une série de points», admet le chef de gouvernement. «Les ministres sont toujours disponibles et prêts à venir chaque semaine faire le point avec les députés».

ADR, déi Lénk et Pirates prudents, mais solidaires

Fernand Kartheiser est venu confirmer le soutien à l’état de crise de la part de son parti ADR. «Il nous faudra cependant travailler sur une adaptation des procédures législatifs d’urgence pour éviter de recourir à l’état de crise. Mais pour le moment, on n’a pas d’autre instrument à notre disposition. Il obtient notre soutien car il permettra de sauver des vies», explique l’ancien diplomate.

Déi Lénk a aussi fait part de ses inquiétudes concernant l’entrave des libertés individuelles en cette période de crise. «Le fait de donner au gouvernement les pouvoirs de prendre des règlements qui ont valeur légale, sans validation du Premier pouvoir du pays, donne des sueurs froides à tous ceux qui tiennent aux principe démocratiques», fait remarquer Marc Baum. «Mais la Chambre n’est pas placée en chômage technique. Elle va encore renforcer son sa mission de contrôle», martèle l’élu eschois.

«On ne vote pas cette loi de gaieté de cœur, mais il s’agit de mesures que nous devons prendre pour sauver des vies», affirme de son côté Sven Clement (Parti pirate). L’invocation de l’état de crise reposerait sur des «faits», analysés avec «bon sens» et reposant sur des conclusions «scientifiques». «On n’a perdu nos têtes», conclut le député.

«Faire preuve de solidarité et de responsabilité»

Peu après 16 h 30, le vote était acté. Une motion et une résolution ont également été adoptées à l’unanimité. La motion appelle le gouvernement à continuer de travailler de manière étroite avec la Chambre pendant cet état de crise. La résolution appelle le Parlement à tout faire pour continuer à rester opérationnel, notamment en ayant recours en cette crise sanitaire aux moyens de télécommunication digitaux.

«Je tiens à remercier les députés. On est conscient qu’on ne nous attribue pas de chèque en blanc. Notre objectif est de faire preuve de solidarité et de responsabilité», reprend le Premier ministre. «La lutte contre le virus n’est ni une affaire de la majorité, ni de l’opposition mais nécessite l’union nationale», conclut Xavier Bettel.

David Marques

L’article 32.4 en bref

L’état de crise, défini dans l’article 32.4 de la Constitution, est un instrument exceptionnel.

Le texte actuel date d’octobre 2017. Dans la foulée des attentats de Paris (13 novembre 2015), le gouvernement avait pris l’initiative d’adapter les mécanismes de crise au Grand-Duché.

L’article 32.4 de la Constitution prévoit qu’«en cas de crise internationale, de menaces réelles pour les intérêts vitaux de tout ou partie de la population ou de péril imminent résultant d’atteintes graves à la sécurité publique, le Grand-Duc, après avoir constaté l’urgence résultant de l’impossibilité de la Chambre des députés de légiférer dans les délais appropriés, peut prendre en toutes matières des mesures réglementaires». Dans les faits, le Grand-Duc signe le règlement dressé par le gouvernement. Et c’est le Conseil de gouvernement qui prend les mesures adéquates. L’état de crise est en vigueur depuis mercredi soir.

Cet instrument prévoit «des mesures (pouvant) déroger à des lois existantes». Par contre, «elles doivent être nécessaires, adéquates et proportionnées au but poursuivi et être conformes à la Constitution et aux traités internationaux».

Même si elle est un peu mise en retrait par l’état de crise, la Chambre continue à assumer un rôle de poids en tant que premier pouvoir du pays. Au plus tard dix jours après l’adoption du règlement gouvernemental, les députés doivent le valider par une majorité des deux tiers. Dans les termes de la loi suprême, «la prorogation de l’état de crise au-delà de dix jours ne peut être décidée que par une ou plusieurs lois votées (…) qui en fixe la durée sans que la prorogation ne puisse dépasser une durée maximale de trois mois».

Pendant l’état de crise, le gouvernement n’a également pas le droit d’amender la Constitution. La Chambre ne peut également être dissoute.

L’état de crise a été invoqué à deux reprises dans un passé plus récent. Sous un régime antérieur à l’article 32.,4, le gouvernement CSV-LSAP avait en 2008 et 2011  eu recours à cet instrument d’exception pour amortir l’impact de la crise financière. Cela a notamment permis le sauvetage in extremis des deux banques systémiques BGL et BIL.

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