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[Réfugiés du Luxembourg] Sandrine, rescapée du Rwanda


Sandrine Gashonga ne se voit plus quitter le Luxembourg. (Photo François Aussems)

Chaque semaine, cet été, Le Quotidien rencontre des anciens réfugiés qui ont (re)construit leur vie au Luxembourg. Aujourd’hui, Sandrine Gashonga : elle vient du Rwanda, pays ravagé par un génocide dans les années 90. Si elle a réussi à fuir avec sa famille, son intégration au Luxembourg s’est fait progressivement.

C’est au plus fort des exactions au Rwanda que la famille Gashonga a plié bagages en hâte pour quitter le pays. «Nous vivions dans la capitale Kigali, dans un quartier où au pied de notre immeuble sévissait l’antenne extrémiste du Parti hutu. Quand nous avons appris que les habitants du quartier où vivaient mes grands-parents avaient été massacrés, nous n’avons pas eu d’autre choix que de partir», se rappelle-t-elle.

Pourtant, la famille de Sandrine est hutu, l’ethnie au pouvoir à l’époque, mais le père de la famille est un activiste qui œuvre aux rapprochements des deux groupes. «À 17 ans, on peut avoir une carte d’identité. Et à l’époque, l’ethnie y était indiquée. Mes parents ont insisté pour que je porte une carte d’identité afin d’éviter les problèmes. Mais les tensions étaient tellement fortes depuis quelques années que le lycée français où j’étudiais a fermé ses portes. Ma mère n’a plus voulu que j’aille à l’école, c’était trop dangereux.»

Résultat, Sandrine va être privée de scolarité pendant près de quatre ans.

« Nous sommes partis dans la précipitation »

C’est au moment du génocide, en 1994, que la famille a fui. Une anecdote revient à l’esprit de Sandrine : «Nous étions dans un nouveau logement, nous n’étions pas encore raccordés au téléphone. Je ne sais pas comment, mais ma mère et mon frère ont réussi à percer un trou vers l’appartement du dessus pour se raccorder illégalement à la ligne des voisins. C’est comme ça que nous avons pu joindre notre frère travaillant à la Croix-Rouge, qui nous a grandement aidés.»

Escortés par une camionnette de l’organisation – son frère travaillant pour l’institution a facilité les choses – la famille trouve d’abord refuge dans un hôtel gardé par des miliciens qu’il faut payer pour pouvoir entrer, puis par les Casques bleus. La famille y réside un mois avant d’être escortée, par les militaires français, dans le pays voisin, l’Ouganda.

La famille reste encore un mois dans ce camp de réfugiés composé de maisons abandonnées. «C’était une période incertaine, nous sommes partis dans la précipitation. Puis une tante du côté de ma mère qui résidait en Italie nous a beaucoup aidés pour nous faire venir en Europe, les associations italiennes ont fait beaucoup.»

Les Gashonga sont huit à fuir : les parents, les cinq enfants et un neveu de Sandrine, la plus jeune de la fratrie. Ce que l’ancienne réfugiée ne mentionne pas tout de suite, c’est que son papa ne fera pas partie du voyage pour l’Europe. Rentré au Rwanda pour voir ce qu’il est advenu des affaires de la famille, il ne reviendra jamais.

«C’est dur mais il faut se rendre à l’évidence, après toutes ces années, il y a toutes les chances que mon père soit mort. Il était de santé fragile, il n’aurait peut-être pas survécu à un emprisonnement. Nous ne le saurons sans doute jamais. C’est pour ma mère que c’est le plus difficile, dans ces conditions elle ne peut pas faire son deuil.»

Quelques mois pour obtenir le sésame

Il ne faut que quelques mois à la famille pour obtenir le sésame : le statut de réfugié, en Italie. Nous sommes en 1996, et après quelque temps passé chez la tante, la famille emménage dans un foyer. Une fois le statut de réfugié acquis, les Gashonga veulent atteindre la Belgique, où une grosse communauté de Rwandais vit déjà. À l’époque, le transfert de statut de réfugié est transférable d’un pays à l’autre. Mais la Belgique le refuse. «Ma mère connaissait des sœurs luxembourgeoises. Grâce à leur réseau avec l’Église, elles ont beaucoup oeuvré pour que l’on puisse venir dans leur pays.» C’est ainsi que la famille pose ses bagages au Grand-Duché,
en 1998.

Ses premières impressions du Luxembourg? «C’était comme un conte de fée, ces fortifications avec cette descente dans le Grund pour arriver jusqu’à l’auberge de jeunesse. Et tout ça, en plein hiver!» Après l’auberge de jeunesse, la famille s’installe dans un appartement social à Differdange, où tous les voisins sont aussi des demandeurs d’asile. «Nos voisins directs étaient kosovars, c’était très divers, mais il y avait une bonne ambiance. On ne parlait pas la même langue, mais il y avait une véritable entraide.» Côté scolarité, Sandrine retourne au lycée aux côtés d’élèves qui ont cinq ans de moins qu’elle. Elle qui a accumulé les années de retard au Rwanda, retourne sur les bancs du lycée à Arlon, puis à Longwy et Thionville, en internat. Le système francophone est alors plus aisé pour la jeune femme. Elle continue ses études dans les universités de Nancy et Lille. Et là, la lourdeur administrative française s’en est mêlée. Munie de son passeport rwandais, mais d’un titre de séjour faisant mention d’une nationalité «indéterminée», Sandrine a dû demander une dérogation pour pouvoir étudier en France. Et dut faire la queue dès 3 h à la préfecture de Lille pour obtenir son titre de séjour étudiant.

Elle est devenue luxembourgeoise

Puis la jeune femme retourne au Luxembourg, bien décidée à s’y établir pour de bon. Nous sommes en 2006, et Sandrine Gashonga entame une carrière dans le milieu de la finance, avec un coup de pouce de l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI) qui lui a permis de se lancer dans la vie active. Bien intégrée dans le pays, elle obtient la nationalité luxembourgeoise. Pour cela, elle a dû renoncer à sa nationalité rwandaise car elle a entrepris les démarches avant la loi sur la double nationalité. «L’intégration, c’est un processus qui a lieu tout au long de la vie. Cela peut parfois un peu choquer car même si je le comprends, je n’arrive pas à m’exprimer en luxembourgeois. Les tests de langue étaient moins exigeants quand j’ai été naturalisée.»

Aujourd’hui, la jeune femme s’est reconvertie professionnellement, et elle avance. Il est encore difficile pour elle de raconter son histoire à ses amis, qui n’osent pas poser de questions. «Du coup, je me demande s’ils savent vraiment qui je suis car c’est une grande part de ma personnalité. J’ai, par exemple, eu beaucoup de mal avec les feux d’artifice. Et je suis toujours anxieuse face au futur. Je me rends compte que mes collègues de travail personnalisent leur bureau, apportent des photos. Moi je n’ai rien, comme si je pouvais partir demain sans laisser de traces. Je suis plutôt flexible, je pense.»

A-t-elle envie de retourner au Rwanda un jour? Pas vraiment : «Ma vie est ici, maintenant. Une de mes sœurs a eu une crise identitaire, elle y est retournée mais ça s’est très mal passé. On l’a interrogée, les gens étaient suspicieux, elle est rentrée au bout de 3 mois. Aujourd’hui, le Rwanda se développe économiquement, le pays est ambitieux mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit quand même d’une dictature. Je privilégie l’instinct de survie, on peut toujours reconstruire sa vie ailleurs.»

Audrey Somnard

Le génocide rwandais

Le génocide des Tutsis a eu lieu du 7 avril 1994 à juillet 1994. Il fut commis dans le cadre d’une guerre civile opposant le gouvernement rwandais, constitué de Hutus, au Front patriotique rwandais (FPR), accusé par les autorités d’être essentiellement «tutsi». Les autorités rwandaises menèrent une double stratégie : se défendre avec l’armée contre l’agression militaire du FPR et «liquider» tous les Tutsis de l’intérieur du Rwanda. Les autorités rwandaises perdirent la guerre civile au profit du FPR, mais atteignirent en revanche leur objectif génocidaire. L’ONU estime qu’environ 800 000 Rwandais, en majorité tutsis, ont perdu la vie durant ces trois mois. Ceux qui parmi les Hutus se sont montrés solidaires des Tutsis ont été tués comme traîtres à la cause hutu.

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