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Le flamenco dans tous ses états à Esch jusqu’au 25 mai


Cette année encore, le FlamencoFestival Esch met en lumière cette douce révolution. Mais parallèlement, le rendez-vous célèbre aussi les coutumes. (photo felix vazquez)

Depuis quelque temps, c’est toute une génération d’artistes qui casse les codes de leur discipline et s’affranchit du poids des traditions. Et régulièrement, le FlamencoFestival Esch s’en fait le relais, comme, une nouvelle fois, cette année.

En 2018, quand le chorégraphe Manuel Liñán a lancé le FlamencoFestival Esch, c’était pour proposer une réflexion critique sur les codes et les conventions esthétiques qu’on lui a imposés dès son plus jeune âge, lui, danseur de flamenco, osant alors vêtir une robe pour mieux exprimer sa part de féminité dans le bien nommé Reversible. L’année d’avant, c’était Patricia Guerrero, l’une des fidèles du rendez-vous printanier, qui troquait ses habituelles couleurs pour un spectacle d’une beauté austère, aux odeurs d’encens (Catedral).

Il y a peu, c’est la superstar Sara Baras – célébrant les vingt ans de sa compagnie à New York – qui balançait un coup de pied dans la fourmilière en faisant valser les stéréotypes à coups de talons… et en pantalon! «Un homme peut magnifiquement bouger ses hanches sans être féminin, et une femme danser avec ses pieds sans être masculine», lançait alors la chorégraphe originaire de Cadix, 47 ans, qui ose ainsi s’approprier la farruca, une variété de flamenco traditionnellement dansée par des hommes. Elle, qui innovait là à sa manière, se disait également perplexe face à la controverse autour d’une Espagnole de 25 ans, Rosalía, qui a fusionné (avec brio, il faut le reconnaître) flamenco et musique urbaine, et accusée par certains de s’approprier une musique qui, à l’origine, est un cri racontant la souffrance et l’oppression du peuple gitan. «Le flamenco n’a pas de frontières, c’est un art qui va directement au cœur. Il n’a pas de passeport, pas de limite», soutient-elle encore. Oui, «le flamenco est libre»!

Un formule que ne contredira pas le le Círculo Antonio Machado, association pilier du FlamencoFestival Esch, qu’elle défend amoureusement depuis maintenant quatorze années, grâce notamment à ses appuis essentiels développés de l’autre côté des Pyrénées (Instituto Andaluz del Flamenco, Extenda). Jesús Iglesias del Castillo, son président, est conscient que le cliché de la danseuse en robe rouge à volants est persistant, mais refuse le terme «folklore». «Le flamenco est un art vivant qui évolue avec son temps», dit-il.

«Ils créent leur propre liberté, sans peur»

Aujourd’hui, au cœur des théâtres et des opéras, de nombreux artistes prennent des libertés avec les codes du flamenco, qui sont pourtant sa marque de fabrique. La raison, selon lui? L’audace d’une nouvelle génération. «Ce sont des danseurs-musiciens qui, âgés entre 30 et 40 ans, s’appuient sur une certaine maturité pour ouvrir de nouveaux schémas. Ils créent leur propre liberté, sans peur.» Au point qu’Israel Galván ou encore Antonio Canales, célèbres ambassadeurs de la discipline, s’y mettent aussi.

Des élans qui bravent ainsi les us et les coutumes, défendus par quelques conservateurs à la peau dure. «Il y a toujours eu une emprise des puristes sur le flamenco, poursuit-il. Soit de vieux aficionados, soit une clique de critiques qui vérifient si tel ou tel artiste reste fidèle à ce qu’il a dans son manuel. Ils distribuent ainsi de bons et mauvais points, et si quelqu’un sort des sentiers battus, il est foudroyé!» Un clivage qui le fait doucement rire, lui qui prône l’ouverture. «L’important, c’est que la démarche artistique soit cohérente et réfléchie. Voir un spectacle, c’est y aller l’esprit ouvert, afin de comprendre l’œuvre dans son ensemble.»

Cette année encore, le FlamencoFestival Esch mise et met en lumière cette douce révolution, évoquant dans son programme une danse «façon art conceptuel» (J.R.T, en ouverture vendredi), la «mouture XXIe siècle de la chanteuse flamenca» (Esperanza Fernández) et d’autres élans contemporains. Mais parallèlement, le rendez-vous célèbre aussi les coutumes, notamment à travers ses projections, célébrant des figures légendaires du flamenco, ou des spectacles plus «classiques» (Gitano, Albayzín).

Un équilibre justifié par une crainte que l’évolution du flamenco brise certains «repères» nécessaires. «Il existe un risque que tout aille trop vite et que cette révolution devienne la norme, explique Jesús Iglesias del Castillo. Ceux qui suivent une voie plus traditionnelle sont déjà négligés, et aujourd’hui, un festival est audacieux s’il met à son programme un vieux guitariste (il rit)!» Autre préoccupation, celle de rester «éclectique» : «Toutes les approches sont légitimes, martèle-t-il. L’art, quel qu’il soit, d’ailleurs, implique de n’avoir aucun a priori et de ne pas forcément suivre l’actualité.»

Avec son caractère à la fois loyal et aventurier, le FlamencoFestival Esch ne tranche pas. Dans une ambiance toute particulière, entre village flamenco et «trasnoches» (NDLR : petits concerts), son public pourra vaquer au gré de ses envies, subversives ou conformistes. Jesús Iglesias del Castillo, lui, met tout le monde d’accord. «En Espagne, on est soit pour Barcelone, soit pour le Real Madrid, alors qu’il est possible d’apprécier les deux!» Oui, le flamenco sait à peine d’où il vient, et ignore où il va. Et c’est sûrement là tout son charme…

Pablo Chimienti

FlamencoFestival Esch, à partir de vendredi et jusqu’au 25 mai : www.kulturfabrik.lu.

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