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L’abus d’alcool : un tabou qui nous concerne tous


La première expérience avec l’alcool se fait le plus souvent en famille ou dans le cercle d’amis. La suite est un parcours individuel. (illustration Editpress)

Grande première en matière de lutte contre les ravages de l’alcool au Luxembourg : le pays s’est doté du PALMA, un plan d’action national de réduction des mésusages de l’alcool au nom évocateur pour les fêtards. Une ses missions est de réduire les dommages liés à l’alcool et de promouvoir la santé. Le CePT, centre de prévention des toxicomanie qui a pensé le projet il y a dix ans, est chargé du volet prévention.

Il y a une semaine, le conseil de gouvernement a donné son feu vert au premier plan d’action luxembourgeois de réduction du mésusage de l’alcool (PALMA) qui courra de 2020 à 2024. Il a pour ambition de «réduire significativement le mésusage de l’alcool et ses méfaits, ainsi qu’à créer des environnements favorables permettant à la population d’adopter des comportements sains et raisonnables face à l’alcool, et ceci à tout âge de la vie – en protégeant plus particulièrement les jeunes».

«Il m’importe avant tout de responsabiliser les citoyens face à leur consommation d’alcool. Je pense que la plupart des gens sont conscients des ravages que fait le mésusage d’alcool. Il est notamment à l’origine d’accidents de la circulation ou d’actes de violence. Mais il affecte surtout durablement la santé et constitue un facteur de risque évitable des maladies cardiovasculaires, de cancers, de maladies du foie ou encore de troubles mentaux», a souligné le Vice-Premier ministre, ministre de la Santé, Étienne Schneider.

La consommation excessive d’alcool chez les adultes constitue un enjeu de santé publique majeur au Luxembourg. Le pourcentage d’adultes ayant fait état d’épisodes de consommation d’alcool excessive compte parmi les plus élevés de l’UE, contrairement aux adolescents. Un adolescent de 15 ans sur sept déclare avoir été ivre au moins deux fois dans sa vie, ce qui est la proportion la plus faible de l’UE.

Du côté des associations, on se réjouit de l’avènement de ce plan national qui «brise le tabou qu’est l’alcool». Et ce, plus particulièrement au centre de prévention des toxicomanies (CePT). Roland Carius, son directeur se souvient : «Le plan est issu d’un processus sociétal que nous avons lancé en créant un groupe de travail sur le thème de l’alcool en 2004. A l’époque, c’était la mode des alcopops. Il y avait des représentants des ministères de la Santé, de l’Éducation, de l’ORK, de la protection des consommateurs, entre autres. La conclusion de nos travaux a été la nécessité absolue d’un plan d’action. Il manquait un concept global pour le Luxembourg et une coordination des actions existantes pour ne rien laisser au hasard.»

Des jeunes aux seniors et aux femmes enceintes

Le CePT a présenté le résultat de ces travaux lors de conférence nationale de la Santé en 2010. «Ça a été le coup d’envoi du plan. Nous avons été chargés de travailler sur le volet de la prévention avec 170 partenaires différents», explique le directeur. «Les thèmes sur lesquels nous avons travaillé sont nombreux. Ils vont de l’alcool chez les jeunes ou chez les seniors en passant par les femmes enceintes et la sécurité routière. Quatre ans plus tard, nous avons remis nos propositions à la ministre de la Santé d’alors, Lydia Mutsch.»

Le plan couvre un grand nombre de sujets et est organisé autour de six grands axes, déclinés en différentes mesures et actions dans le but d’assurer une démarche holistique. «Reste à connaître l’avis des partis politiques, du gouvernement et des lobbys à qui certaines mesures bien précises peuvent déplaire, comme des hausses de prix, des taxes ou de la limite d’âge. (NDLR : Pour Étienne Schneider augmenter les prix de l’alcool n’est pas un argument suffisamment contraignant au Luxembourg, pays aisé). Ce sont des décisions politiques importantes à prendre. Même si le plan indique qu’il ne s’agit pour le moment encore que de propositions, elles sont tout à fait transposables et le seront sans doute un jour», indique Roland Carius.

Le plan vient également combler des vides : «Les conseils en ce qui concerne la consommation d’alcool étaient peu développés au Luxembourg. Nous avons demandé à ce que cela devienne un volet imposé des formations professionnelles pour couvrir l’ensemble de la société et prévenir des dangers de l’alcool», précise le directeur. «L’alcool est omniprésent dans notre société», poursuit-il, «On n’arrive à rien avec des interdits ou des règlementations trop sévères. Le but de la prévention n’est pas l’abstinence, mais d’apprendre aux gens à consommer de l’alcool de manière responsable. Les prévenir des risques pour la santé, la vie et la société que l’alcool comporte.»

7% des décès prématurés liés à l’alcool

Et plus particulièrement aux jeunes, plus vulnérables que leurs aînés. «Nous leur apprenons à ne pas boire de trop grandes quantités, à ne pas boire trop d’un coup, à ne pas consommer d’alcool tous les jours, entre autres. Ce sont des règles concrètes que nous les adultes possédons. On sait par exemple que si on doit faire un trajet en voiture, il ne vaut mieux pas boire avant de prendre le volant. Ou que si je vais faire la fête avant un rendez-vous important, je ne dois pas trop boire non plus. Un adulte connait également mieux ses limites.» L’alcool serait en effet responsable de plus de 7% des maladies et décès prématurés dans l’Union européenne.

Pour le CePT, pas question de nier, de stigmatiser au de banaliser l’usage de l’alcool. «Nous tentons de conserver une position neutre, de trouver un équilibre. Chacun doit analyser sa propre consommation et son propre usage, découvrir si on a développé des schémas de consommation réguliers ou si la quantité d’alcool consommée devient critique.» Une philosophie que le CePT va pouvoir, à travers des formations, essaimer grâce au plan aux professeurs, psychologues scolaires, les éducateurs des maisons des jeunes et autres personnes qui auront un rôle de relais et de démultiplicateur. Elles seront également amenées à faire de la détection précoce.

Le plan permettra également d’obtenir des chiffres et des données précises sur la consommation d’alcool au Luxembourg. Si la tendance «healthy» qui règne chez les jeunes générations a changé le regard que la société porte sur la consommation d’alcool, elle reste pourtant bien présente. En se basant sur des données venant d’Allemagne, Roland Carius affirme : «Les jeunes boivent moins et moins jeunes, selon les chiffres répertoriés en Allemagne. La prévention a fait son œuvre.» Ils sont une de cibles du plan d’action. Il prévoit notamment d’augmenter l’âge légal de la vente d’alcools forts de 16 à 18 ans et d’interdire la consommation d’alcool au volant des jeunes conducteurs.

La première expérience avec l’alcool se fait le plus souvent en famille ou dans le cercle d’amis. La suite est un parcours individuel. Chaque démarche de prévention correspond à ces parcours, aux motifs qui poussent quelqu’un à boire de manière dangereuse, soit beaucoup et régulièrement. «C’est particulièrement nocif à l’adolescence. Le développement physique et cérébral des jeunes n’est pas encore achevé. Les effets de l’alcool est les drogues peuvent prendre des dimensions désastreuses : des problèmes de croissance, des problèmes hormonaux, des problèmes d’apprentissage… », énumère Roland Carius. Sans oublier les zones du cerveau responsables des sentiments de récompense qui sont très sensibles aux bienfaits momentanés de l’alcool et peuvent déclencher le phénomène d’addiction.

«En tant que société, nous devons nous sentir responsables, d’où l’importance de lancer des campagnes pour protéger les jeunes» des effets de l’alcool. Le CePT a d’ailleurs un programme de prévention bien particulier, Tom & Lisa, pour leur apprendre comment réagir en cas de malaises éthyliques.

«La clé de voute est le dialogue»

«Le manque d’expérience en matière de consommation d’alcools forts est souvent à leur origine. Le goût sucré des boissons masque souvent la quantité réelle d’alcool absorbée. Pourtant les boissons destinées aux jeunes contiennent entre 17 et 22% d’alcool», précise le directeur, «Les effets de l’alcool mettent environ 30 minutes avant d’apparaître. Les jeunes, impatients d’être grisés, boivent beaucoup en peu de temps. Quand les premiers effets apparaissent, il est trop tard.»

Il n’existe pas de remède ni de moyen de prévention miracle. Faut-il «apprendre à boire» aux jeunes dans un environnement encadré ? Les avis s’affrontent. «Cela va peut-être marcher pour les uns, mais un autre y prendra peut-être goût. Le mieux est d’attendre que les jeunes en parlent d’eux-mêmes quand le besoin s’en fera sentir. Encore faut-il que le jeune fasse partie d’une famille ayant une culture de dialogue et d’ouverture. La clé de voûte est la confiance. Lors de nos soirées dédiées aux parents, nous leur apportons des conseils pour gérer ou aborder ce type de situation. Les parents doivent alerter les jeunes sur les dangers concrets de la consommation. Le dialogue est plus ou moins aisé en fonction des caractères des jeunes. Il faut les responsabiliser», estime le spécialiste.

Le plan s’intéresse également aux seniors. Ils feraient partie des plus gros consommateurs d’alcool au Luxembourg. «Il s’agit d’une question culturelle plus que d’une question de tromper la solitude ou la déprime. Les enfants ont quitté le nid et les seniors peuvent ressortir et participer à des activités», indique Roland Carius. Une fois mariés et parents, la consommation d’alcool des gens serait au plus bas. Le thème de l’alcool est complexe. «C’est sans doute pour cela que personne ne souhaitait réellement s’y atteler, même s’il concerne tout le monde. Cependant, les gens ont dû mal à se sentir concernés par les problèmes liés à une consommation d’alcool immodérée», conclut Roland Carius.

Le plan prévoit également une amélioration du parcours de soin des consommateurs en danger de la prise en charge thérapeutique à la réhabilitation et à la réduction des risques, en passant par l’offre d’hébergements de soins jusqu’au développement d’offres de soutien et d’accompagnement au profit des proches.

Le gouvernement voulant avancer de manière sérieuse, le plan sera évalué via un rapport d’activité annuel et deux évaluations externes, qui seront réalisées en 2022 et en 2024. Un autre rapport permettant de suivre son impact sur l’épidémiologie du mésusage de l’alcool et de ses conséquences sera élaboré tous les cinq ans.

Sophie Kieffer

Tout n’est pas cirrhose

À consommer avec modération. La phrase politiquement correcte suit généralement toute publicité pour l’alcool. «C’est qui ce « modération » ? Je ne le connais pas !», entend-on à l’autre bout du bar. On s’en doutait un peu, vu le niveau lourdingue de la blague !

L’alcool rend drôle ou pathétique. C’est là toute l’ambiguïté du produit. Comme l’humour, et un bon cocktail, tout est dans le dosage et la finesse. C’est là également toute la difficulté de la prévention en la matière. Faut-il taxer, décourager, interdire ? Les interdits sont là pour être brisés. Les jeunes et les rebelles adorent ! L’alcool sait déployer ses charmes. Mais comme certaines fleurs vénéneuses, il cache bien le poison qu’il distille. L’alcool réchauffe, rend gai, désinhibe, procure du plaisir aux fins palais, l’alcool apaise… Les animaux eux-mêmes en ont conscience, puisqu’ils collectent les fruits fermentés pour s’étourdir. L’alcool calme les douleurs physiques et morales, permet d’oublier, soigne l’âme…

Attention au réveil, la gueule de bois peut être sévère. Les problèmes qu’on voulait oublier n’ont pas disparu et l’alcool devient un compagnon qui a plutôt tendance à noyer dans le chagrin qu’à tirer vers le haut. L’alcool crée des problèmes plus qu’il n’en résout. L’alcool a permis des chefs-d’œuvre à des générations d’artistes et des atrocités au tout-venant. Les tribunaux, les bistrots puants, les halls de gare et les cimetières débordent d’ombres humaines délavées par l’alcool, puissant dissolvant de l’âme humaine. Chaque famille a son «alcoolique». Boire fait partie de notre culture. On n’est pas un homme si on ne tient pas l’alcool ! Même les femmes qui veulent battre ces hommes à tout prix, même jusque dans leur bêtise, s’y sont mises. L’alcool a la beauté du diable.

Mais faut-il pour autant être puritain ? Pire, abstinent ? On en revient à la modération, au choix. Au fait de ne pas plus aimer le produit que soi-même ou les autres. Allez, santé !

Le Luxembourg dans la moyenne

Les Européens boivent en moyenne 10,3 litres d’alcool par an. Une personne sur deux n’en consomme que rarement.

C’est en Europe que la consommation d’alcool par habitant est la plus élevée au monde. Elle varie néanmoins fortement d’un pays à l’autre. Selon le site internet Toute l’Europe.eu, spécialiste des informations de l’Union européennes, qui se base sur des chiffres de 2016, les cinq pays de l’UE où la consommation est la plus importante sont la Lituanie (18,2 litres d’alcool par habitant et par an), la Roumanie, la République tchèque (13,7 litres tous deux), la Croatie et la Bulgarie (13,6 litres tous deux). Les meilleurs élèves de l’Union européenne sont les Maltais et les Italiens qui ont respectivement consommé 7,5 et 7,6 litres d’alcool pur par personne et par an.

Au Luxembourg, la moyenne par habitant est de 11,1 litre consommé en 2016. Ce qui est largement moins que la consommation de ses voisins. La Belgique culmine à 13,2 litres et bat les Anglais et les Irlandais ex æquo avec 12,3 litres. Les Français et les Allemands totalisent 11,7 et 11,4 litres par habitants.

Deuxième cause de mortalité

En 2016, la moyenne par adulte et par an sur le continent européen se situait à 10,3 litres d’équivalent alcool pur. Les pays du nord et du centre de l’Europe consomment principalement de la bière, alors que les États du Sud consomment plutôt du vin, à l’exception de l’Espagne.

Alors qu’une majorité de la population mondiale (53%) ne boit pas régulièrement d’alcool, les estimations de l’OMS indiquent que d’ici 2030 la moitié des adultes boira de l’alcool au moins une fois par an et près d’un quart (23%) connaîtra une alcoolisation massive (au moins six verres standards en une occasion, soit au moins 60 grammes d’alcool pur) au moins une fois par mois, alors qu’ils n’étaient que 20% en 2017 et 18,5% en 1990.

Cette tendance met à mal l’objectif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de réduire de 10% d’ici à 2025 la consommation nocive d’alcool qui entraîne trois millions de morts par an, des hommes pour plus des trois quarts, selon l’OMS. Ce décompte inclut notamment les personnes décédées dans des accidents de la circulation ou en raison d’actes violents liés à la consommation d’alcool. En France, l’alcool est responsable de 41 000 décès chaque année, soit la deuxième cause de mortalité évitable après le tabac.

Appli Suchtberodung : faites le test !

J’ai testé pour vous l’application de la Suchtberodung, téléchargeable sur iPhone et Android. Outre les conseils qu’elle dispense, elle permet de tester nos différentes dépendances (alcool, cannabis, tabac et drogues dures). Le test, un QCM, est fait en trois minutes. Je choisis de tester ma dépendance à l’alcool. La première question nous interroge sur la fréquence de notre consommation et passe de 2 à 4 fois par mois à 2 à 3 fois par semaine.

Moi, je bois des coups le vendredi soir avec les potes et l’apéro avec mes parents un dimanche sur deux. Je réponds 2 à 3 fois par semaine. Question suivante : le nombre de verres. Euh, un shot, ça compte pour un quart de verre ? Je réponds 3 à 4 parce que 5 à 6, c’est trop et que l’alcool fait grossir. Est-ce que j’arrive à m’arrêter quand j’ai commencé à boire ? Quand je n’ai plus soif, j’ai envie de répondre. Blague de comptoir ! En fait, j’arrive toujours à m’arrêter. Est-ce que j’ai déjà eu besoin d’un verre d’alcool pour démarrer la journée ? Des amateurs de bibine patentés m’ont appris qu’il fallait tuer le mal par le mal les lendemains de veille… Ma seule drogue du matin, c’est deux grands verres de jus de fruits hypervitaminé. Ai-je eu des sentiments de remords après une forte consommation d’alcool ? Jamais, j’ai toujours mérité mes gueules de bois. Si j’ai eu un black-out ? Je ne m’en souviens pas. Ai-je blessé quelqu’un après avoir bu ? Non. On m’a déjà dit que je buvais trop ? Non.

Et malgré tout cela, l’appli me répond sur fond rouge avec un panneau Stop que j’ai un problème et un danger accru. Je supprime quoi ? Une bière du vendredi soir ou le gin tonic de l’apéro ? Trêve de plaisanterie, l’alcool est à consommer avec modération. Par habitude ou parce qu’on a l’alcool culturel, on ne se rend souvent pas compte qu’on boit un «peu» trop ou pas assez modérément. Le test effectué, l’application renvoie vers des informations sur l’addiction ou sur des conseils en ligne. Libre à chacun de le passer et d’en tirer des conclusions.

Un commentaire

  1. Merci de publier une étude sérieuse sur l’alcool !

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